Le dialogue interculturel, une solution pour contenir l’épidémie d’Ebola

Written by  Friday, 17 July 2015 12:48
C

’est à Guéckédou, village sud guinéen à la frontière entre la sierra Léone et le Libéria, que le 6 décembre 2013, un enfant de 2 ans meurt de manière inexpliquée quelques jours après être tombé malade, avant que les membres de sa famille succombent à leur tour. Ces premiers décès semblent être à l’origine de la nouvelle épidémie qui sévi depuis le 9 février dans le sud de la guinée. Le fautif doit son nom à celui d’une rivière: la rivière Ebola, située au cœur de l’Afrique entre les fleuves Congo et ubangui. C’est là qu’on situe la première apparition du virus en 1976, plus précisément à Yambuku, république démocratique du congo.

Depuis 1976, 24 épidémies du virus ont été répertoriées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), soit 2387 cas déclarés et 1590 décès. La plus récente date de 2012. Elle a touché 57 personnes et provoqué 29 décès. Le Bilan de l'OMS du 22 Août 2014, recense déjà 2473 cas d'infection et 1350 morts dont, 396 en Guinée, 576 au Liberia, 374 en Sierra Leone et 4 au Nigeria. Cette épidémie est la plus virulente enregistrée après celle d’Ouganda en 2000, où sur 425 cas, 224 s’étaient avérés mortels.

Cette année « On est confronté à la souche la plus agressive d’Ebola, la souche zaïre qui tue 9 personnes sur 10 et pour laquelle il n’y a pas de traitement » comme le précisait Michel Van Help, épidémiologiste à Médecins sans Frontière, à la chaîne Euronews le 27 juin dernier.

Pour juguler l’épidémie, l’OMS et les ONG comme médecins sans frontières, ont envoyé des experts dans les pays touchés depuis début avril. La priorité consiste à « former le personnel de santé pour qu’ils se protègent lorsqu’ils dispensent des soins aux malades, car mieux sensibiliser aux facteurs de risque et aux mesures de protection à prendre est le seul moyen de stopper la transmission et d’éviter les décès ». déclare un expert de l’OMS, Pierre Formenty.

Cession de formation sur la prévention Ébola 2014
Cession de formation sur la prévention par membre de l'agence gouvernementale US "Centers for Disease Control and Prevention (CDC)". Benjamin Park 2014

Mais en dehors de l’aide à la prise en charge clinique des patients, de la communication et de l’échange d’informations, le suivi de contact est fondamental pour endiguer la dispersion géographique des cas. Les personnes chargées de retrouver ceux qui ont côtoyé les malades, sont souvent épuisés de n’avoir en retour de leurs efforts pour sauver des vies que des insultes et des jets de pierres des personnes qu’ils s’évertuent à sauver. La difficulté réside dans le fait qu’il est difficile de construire les ponts de dialogues interculturels pour faciliter la compréhension de la maladie.

Agent de contact de l'agence gouvernementale CDC et responsable local de la santé en direction d'un village à la recherche d'un contact. CDC 2014

Comprendre les cultures locales s’avère un outil indispensable pour communiquer efficacement et contenir l’épidémie.

Ce dernier aspect reste un sujet d’inquiétude et complexifie l’éradication de l’épidémie. Comme le souligne Julienne Anoko, anthropologue consultante pour l'OMS « pendant une épidémie comme celle-ci, deux types de modèles s’opposent: les modèles biomédicaux attachés aux problèmes d’hygiène, de virus de bactéries, d’immunité, d’épidémiologie etc.… , et les modèles culturels qui parlent de sémiologie et nosologie autochtone, où l’importance de la causalité de la maladie est attaché à des doctrines et croyances comme par exemple l’intervention divine pour expliquer les causes de la maladie ». Ebola est souvent perçu comme « une invention des blancs ».

Quand on sait qu’en Guinée, le prélèvement d’ongle, de cheveux ou de peau font parti des rites funéraires, il est impératif d’expliquer les risques de contaminations et les moyens pour les éviter.

Ces croyances traditionnelles, encore très ancrées dans de nombreux villages, freinent les prises de conscience et par conséquent la mise en place de procédures nécessaire pour endiguer cette épidémie. Quand on sait qu’en Guinée, le prélèvement d’ongle, de cheveux ou de peau font parti des rites funéraires, il est impératif d’expliquer les risques de contaminations et les moyens pour les éviter.

Protection individuelle, Ébola 2014
Protection individuelle en vue d'entrer dans l'unité de traitement d'Ebola de Morovia. Athalia Christie 2014

Les intervenants sur place doivent se protéger eux même, en se calfeutrant dans des combinaisons hermétiques qui les déshumanisent. Ces protections aseptisées bien que nécessaires, les empêchent de gagner la confiance des populations. Les leaders communautaires doivent accentuer leur travail de communication pour limiter cette source d’inquiétude et faciliter l’entrée dans les centres de traitements.

Mais si les autorités médicales et sanitaires locales se sont impliquées rapidement, les autorités religieuses et politiques n’ont pas, dès le départ, réalisé l’importance de la situation.

Centre de traitement Guinée, Ébola 2014
Centre de traitement Ebola de Guinée, Kelsey Mirkovic, 2014

En décidant de sortir les malades des centres de traitement pour s’en occuper eux même, les prêtres de Morovia n’ont pas véhiculé un très bon message aux guinéens, très influencés par la religion. Ce qui a retardé l’action des ong au sein des communautés explique Brigitte Vasset, directrice adjointe du département médical de Médecins sans frontières. Le choc culturel est encore très important dans des pays où l’aide et la proximité avec le malade est un soutien psychologique dont ils peuvent difficilement se défaire sans comprendre.

Pour donner plus de crédibilité à toutes les opérations de prévention, les populations qui ne connaissent pas le virus, doivent être informé sur deux points. Savoir qu’Ebola n’a ni vaccin ni traitement, mais que tout le monde ne meurt pas du virus. Cette année la létalité est de 55% en moyenne. Concrètement, si les populations voient des malades sortir des centres de traitement, soignés à l’issu de la maladie, l’isolement du malade sera accepté plus facilement, de même que les barrières instaurées pour éviter tout contact direct avec les défunts. Ils doivent également être informés, qu’une prise en charge dès les premiers symptômes et un traitement immédiat, augmente les chances de survie du patient.

Ébola 2014, travail de communication  des volontaires
Travail de communication par une équipe de volontaires Guinéen de la croix rouge, Guinée, 2014

Ce travail d’approche est reproduit systématiquement dans les nouvelles zones atteintes où les populations ne connaissent pas la maladie. Mais au-delà de ce combat, de la pauvreté et des services de santé médiocres parfois, c’est le contexte politique particulier du Libéria et de la Sierra Léone qui complique les efforts déployés pour lutter contre le virus.

C’est Peter Piot, co-découvreur du virus en 1976 et actuel directeur de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, qui soulève cette problématique dans une interview à l’AFP le 6 aout dernier. D’après lui, dans ces deux pays qui « sortent de décennies de guerre civile, … il y a un manque total de confiance envers les autorités ».

Certains événements au Libéria semblent appuyer ce constat. Des individus se sont introduits de force dans le lycée de la banlieue de Monrovia choisi par les autorités sanitaires pour isoler les personnes présentant des symptômes de la fièvre hémorragique Ebola, en criant des mots hostiles à la présidente libérienne Ellen Johnson Sirleaf. Ils assuraient « qu'il n'y a pas d'Ebola dans le pays »… d’après ce qu’a rapporté Rebecca Wesseh, témoin présente sur les lieux de l’incident selon l’AFP.

À Monrovia des habitants se sont opposés à l’implantation des centres d’isolement. « On leur a dit de ne pas installer leur camp ici. Les responsables ne nous ont pas écoutés. Ils n’ont qu’à aller construire leur camp d’isolement ailleurs. Cette affaire d’Ebola, on n’y croit pas », a affirmé un jeune habitant du quartier qui n'a pas voulu décliner son identité.

Résultat, 17 cas suspects ont fuit le centre ce qui a complexifié une nouvelle fois les actions entreprises.

Une très large dispersion géographique des cas, mais un risque de propagation internationale limité

Même si les mesures ont été mises en place très tôt, aujourd’hui « il y a une très large dispersion géographique des cas » constate Keiji Fukuda, sous-directeur général chargé de la Sécurité sanitaire à l'OMS. Il est "impossible de savoir de manière claire" jusqu'où ira l'épidémie, et "je pense que nous allons devoir y faire face pendant plusieurs mois".

Cette porosité des frontière et ce qui lie étroitement les populations frontalières, est un facteur qui a réactivé début août, des foyers assainis de Macenta et n'zerekore

L’épicentre de l’épidémie situé à proximité de frontières a favorisé cette dispersion. Les moyens de transports et le fait que les zones urbaines soient touchées, semblent avoir démultiplié le risque de propagation. Les nouveaux foyers sont plus difficiles à localiser en ville du fait de l’anonymat. Convaincre les familles du bien fondé des suivis de contact est nécessaire pour arrêter la chaine de transmission. Situé à proximité de trois pays frontaliers, guinée, Libéria et Sierra Léone, il est facile d’imaginer une propagation d’Ebola au-delà des frontières de guinée. Des membres d’une même famille peuvent aisément vivre de part et d’autre de ces frontières somme toute administratives. Dans ces zones forestières, où les déplacements s’effectuent pour la plupart à travers la forêt ou en pirogue, comment contrôler leurs déplacements inter frontaliers. Comment expliquer aux populations qu’accompagner une personne malade ou une famille en deuil peut leur être fatal. C’est un travail de longue haleine qu’effectuent les anthropologue, bénévoles et médecins dépêchés sur les lieux par l’OMS et les ONG présentes sur place depuis des mois.

D’après Julienne Anoko, anthropologue consultante pour l'OMS, cette porosité des frontière et ce qui lie étroitement les populations frontalières, est un facteur qui a réactivé début août, des foyers assainis de Macenta et n'zerekore (guinée), réinfectés par des migrants originaire de Foya épicentre de l’épidémie au Libéria. Dans ce contexte, fermer les frontières comme l’ont fait le Cameroun et la guinée le 9 août dernier, peut limiter les risques de propagation mais ne peut pas les endiguer complètement.

Traversée en pirogue entre Guinée et Libéria qui traduit la porosité des frontières, CDC 2014

A l’échelle internationale, certaines compagnies aériennes ont suspendu leurs vols vers les métropoles de Freetown, Conakry et Monrovia suite aux « détériorations des conditions sanitaires dans les deux pays » comme le justifie British Airways dans son communiqué du 5 août. Précaution supplémentaire, même si le strict respect des mesures de prévention (isolement et précautions standard etc…) laisse peu envisager les transmissions secondaires du virus après une prise en charge en milieu de soins.

Je ne serais pas inquiet d'être assis dans le métro à côté d'une personne porteuse du virus Ebola tant qu'elle ne vous vomit pas dessus ou quelque chose de ce genre.

Et pour le cas où le virus atteindrait nos latitudes, Peter Piot, donne des arguments qui peuvent rassurer. Il rejette l’idée d’une propagation du virus au sein de la population car Il s'agit « d'une infection qui nécessite un contact très proche ». Il précise qu’il « ne serais pas inquiet d'être assis dans le métro à côté d'une personne porteuse du virus Ebola tant qu'elle ne vous vomit pas dessus ou quelque chose de ce genre ». Aucune transmission respiratoire n’a été décrite chez l’homme jusqu’à présent. Le virus Ebola est transmis exclusivement par contact direct avec le sang, les tissus ou les liquides biologiques de personnes infectées. Seul un manque de vigilance dans les soins donnés aux malades dans la famille, en milieu hospitalier ou à l’occasion de rites funéraires pourrait occasionner une contamination secondaire. Les seuls facteurs de risque restent la dispersion anarchique des sujets infectés peu enclin à faire confiance.

Film de sensibilisation, Ebola en Guinée Conakry: hôpital sécurisé par MSF, Guéckédou, EPELBOIN Alain avril 2014
Complément d'info sur ce film

Afin d'interrompre la prolifération de la maladie", l'OMS a organisé les 2 et 3 juillet 2014 à Accra (Ghana) une réunion d'urgence, à laquelle ont pris part les ministres de la Santé de 11 pays -- Guinée, Liberia, Sierra Leone, Côte d'Ivoire, République démocratique du Congo, Gambie, Ghana, Guinée-Bissau, Mali, Sénégal et Ouganda -- et différents partenaires de l'organisation impliqués dans la riposte à la flambée d'Ebola.

De plus les experts de l’OMS réunis mardi 11 Août 2014, ont validé l’utilisation de traitements expérimentaux encore à l’étude. Charles Arntzen, professeur à l’Université de l’Etat d’Arizona explique que “le ZMapp validé par les experts, est caractérisé par trois anticorps produits par un plant de tabac, qu’on écrase et qui, après purification, ressemblent à ceux qui proviendraient de sérum humain”.

Administré à la missionnaire Nancy Writebol et à Kent Brantly, médecin américain contaminé lors d'un séjour au Liberia, il a peut-être joué un rôle dans leur rétablissement. Les essais cliniques autorisés sur des médecins et travailleurs humanitaires au Libéria au Nigéria, sont une nouvelle étape dans la recherche d’une solution radicale.

Quartier de Conakry (Guinée), Guinée 2014

En l’état actuel, on peut difficilement imaginer que cette épidémie sera la dernière. Mais il est rassurant de constater qu’à force de dialogue, certaines barrières interculturelles tombent progressivement. En mettant de côté certaines de leurs valeurs fondamentales pour aller de l’avant et réussir à combattre un virus dont ils ont eu du mal à admettre l’existence, les populations doivent faire preuve d’ouverture d’esprit. L’acharnement des anthropologues, chercheurs et bénévoles, qui de manière désintéressés se battent pour sauver des vies est à saluer également. Tout ceci sera un plus, non seulement dans les prochains mois pour éradiquer Ebola, mais pour combattre plus efficacement les épidémies à venir. Espérons que dans les très grandes villes, les bidonvilles resteront épargnés, car la promiscuité et les problèmes d’hygiène qu’ils véhiculent seraient sans doute catastrophiques si l’épidémie s’y propageait.

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