Faut-il fertiliser l’océan pour contrôler le climat?

Written by  Friday, 10 July 2015 19:52

Il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre, car nous nous situons déjà au dessus du scénario le plus irréaliste, ...et laisser de côté la fertilisation artificielle, car il y a trop d’inconnus, et beaucoup de paramètres sont incontrôlables.

C

’est à l’université de la méditerranée à Luminy, que nous avons rencontré Stéphane Blain, chercheur au Laboratoire d’océanographie et de biogéochimie de Marseille. Il nous a expliqué que la fertilisation artificielle des océans n’est pas une solution au dérèglement climatique. L’océan joue un rôle important dans la régulation du climat. Il a la capacité de dissoudre (pompe physique) et d’absorber (pompe biologique) de grandes quantités de dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère. Il couvre les ¾ de la planète, c’est donc un formidable puits de carbone qui "modère" le climat. Aujourd’hui, l’augmentation du taux de CO2 est amplifiée par l’activité humaine. Il s’est accru de 70% entre 1970 et 2004 selon un rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). D’après Stéphane Blain "nous nous situons déjà au dessus du scénario le plus irréaliste qu’avait envisagé le GIEC en 2001".

Nous nous situons déjà au dessus du scénario le plus irréaliste qu’avait envisagé le GIEC en 2001

Et le fer dans tout çà ?

Le fer permet à une micro algue marine, le phytoplancton, de piéger le CO2 dans l’océan. Cet organisme utilise le carbone dissous dans l’eau pour construire ses tissus. Quand il est mangé, une partie du CO2 retourne à l’atmosphère. Mais lorsqu’il meurt il se dépose sur le plancher océanique sous forme de sédiments, «isolé de l’atmosphère pour des milliers d’années». Le phytoplancton joue ainsi « le rôle de pompe biologique à carbone». Mais, le scientifique souligne que le fer s’est raréfié dans les océans alors que c’est un des éléments chimiques les plus abondants sur la planète. Le fer originel était plus soluble que l’actuel.Incorporé dans de nombreux métabolismes, il permettait une meilleure acquisition par les micro-organismes, dont il représente une ressource vitale. Ceci explique en parti que la pompe biologique "tourne au ralenti" dans de vastes régions océaniques.

On touche le domaine de la manipulation du vivant...il y a trop d’inconnus, et beaucoup de paramètres sont incontrôlables

En 1993, des ingénieurs américains ont imaginés qu’il était possible de relancer la pompe artificiellement. Cette idée de fertiliser l’océan pour refroidir la Terre a donné lieu à une douzaine d’expériences. L’équipe du projet international KEOPS pilotée par Stéphane Blain, a préféré observer un processus naturel pour comprendre le vrai rôle du fer. Selon lui c’est un "gros danger de bousculer la pompe biologique avec du fer différent et beaucoup moins complexe que ne l’est le fer issu du milieu marin". Celui utilisé par la géo-ingéniérie est moins riche en apports et en échanges biologiques et chimiques. En 2002 a "germé" l’idée d’observer une floraison saisonnière de phytoplancton (bloom), sur le plateau des Kerguelen. Ce n’est qu’en janvier 2005, après une validation scientifique, budgétaire et logistique, que 50 chercheurs ont mené leur étude dans l’océan austral à bord du Marion Dufresne. Ils ont constaté que ce «bloom» est alimenté par un apport naturel et continu de fer provenant des eaux profondes riches en minéraux. De plus, la chute de CO2 mesurée sur une fertilisation naturelle s’est avérée bien plus efficace: «Dix fois plus élevée» que les estimations se basant sur la fertilisation artificielle. Tout simplement car le phytoplancton assimile beaucoup mieux le fer naturel, enrichi en nutriments comme les nitrates, phosphates et silicates.

Dérégler la pompe biologique, semble être une erreur !

"On touche le domaine de la manipulation du vivant" s’nquiète Stéphane Blain. "Il y a trop d’inconnus, et beaucoup de paramètres sont incontrôlables". Il ne faut pas oublier les risques d’effets secondaires associés à la démultiplication du phytoplancton: La production de Gaz à effet de serre, comme le protoxyde d’azote (N2O) qui est 300 fois plus dévastateur que le C02; La diminution des réserves d’oxygène des océans, qui à grande échelle peut provoquer la mort de nombreux autres organismes marins. De plus, il n’y a aucune certitude que ce carbone, soit stocké durablement au fond des océans. Face à ces risques «il faut réduire les émissions de Gaz à effet de serre» et «laisser de côté la fertilisation artificielle». Peut-être que la pompe biologique va se relancer, et que la quantité de fer amenée à l’océan va augmenter. Cela mérite de continuer à creuser le problème... Cet objectif continue à motiver les recherches sur le cycle du fer.